La cartographie sensible et participative

Pour qui, pour quoi, comment ?

Par Morgane Dujmovic, le mardi 17 septembre 2024

Dans ce Tuto, nous abordons les méthodes et apports de la cartographie dite « sensible » comme processus d’exploration et mode de co-écriture scientifique.

Dans un premier temps, Morgane Dujmovic présentera les évolutions récentes des cartes sensibles et leur contribution à l’épistémologie et aux méthodologies des sciences sociales. De façon croissante ces quinze dernières années, des travaux au croisement de la recherche, des pratiques artistiques et/ou du travail social se sont intéressé à des solutions graphiques adaptées à la subjectivité des récits. Dans le domaine de la cartographie, l’approche sensible a exploré l’utilisation de techniques manuscrites ou manuelles permet d’évoquer les dimensions narratives, psychologiques et émotionnelles des récits de vie, par exemple l’atténuation (Khalili 2011) et la représentation manuscrite du fond de carte (B. Ahmed et Dujmovic 2017) ou la construction d’une légende commune (Amilhat Szary et Mekdjian 2015). Les cartes sensibles entendent ainsi mobiliser les sens et la sensibilité des cartographes, pour susciter ceux des lecteurs ou lectrices de la carte (Rekacewicz et Tratnjek 2016, Mekdjian et Olmedo 2016).

Plus rares sont les travaux qui comportent une dimension participative affirmée. La seconde partie du Tuto aborde la carte comme outil d’expression, de restitution, et comme mode relationnel. Nous verrons comment on peut appliquer ces réflexions sur le terrain et comment les retranscrire en pratiques cartographiques, à partir du projet « CartoMobile » qui s’intéresse aux savoirs et représentations de personnes exilées dans des contextes frontaliers violents (frontières françaises, balkaniques et Méditerranée centrale). Morgane Dujmovic détaille le dispositif d’ateliers cartographiques itinérants qui lui a permis de fabriquer des processus cartographiques « à hauteur d’individus », adaptées aux expériences singulières de la frontière – de la formulation d’un projet de carte, aux choix de sémiologie graphique et de valorisation. On s’interrogera ainsi sur le potentiel des co-écritures graphiques sensibles pour générer des recherches à plusieurs mains et plusieurs voix.

Ce Tuto ouvre également une réflexion sur la restitution et la réception de telles cartes, où sont à nouveau questionnées les possibilités de participation de personnes dont les savoirs sont peu entendus, délégitimés et/ou mis en silence. Cette réflexion s’appuie sur deux expériences de restitution collective : l’exposition participative issue de la CartoMobile, qui fait interagir le public avec les récits cartographiques de personnes exilées, et le projet art-science « Freestyler la carte » qui met en dialogue et en jeu la musique, le corps et la voix dans la représentation de l’espace en exil (actuellement en création avec l’artiste congolais Wanny S-King dans le cadre d’une résidence EHESS/Fondation Camargo).


Morgane Dujmovic est géographe au CNRS, affiliée à l’UMR PACTE (Grenoble) et associée à l’UMR TELEMME (Aix-Marseille). Elle est membre de l’Institut Convergences Migration et des associations Migreurop (réseau euro-africain de décryptage des politiques migratoires européennes) et Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers).

La séance s’est tenue sur la plateforme Big Blue Button de l’EHESS que nous remercions pour son soutien.