Par Claire Lemercier le 8 février 2024
L’approche prosopographique, c’est-à-dire la réalisation de biographies collectives, le plus souvent de quelques dizaines à quelques milliers de personnes, semble perpétuellement revenir à la mode en histoire, histoire de l’art, de la littérature, des sciences, sociologie, science politique, depuis au moins les années 1970 (Lawrence Stone en avait proposé une critique mordante, encore en bonne partie d’actualité, dès 1971).
Elle est trop souvent devenue une routine : celle de la fabrication de dictionnaires biographiques, hier symboles d’érudition, aujourd’hui sésame pour obtenir des financements lorsqu’on les promet en ligne et assortis de cartes ou de graphes. Cette routine est problématique lorsqu’elle conduit, parce que “tout le monde a toujours fait ainsi”, à s’exonérer de toute réflexion sur les contours exacts de la population à étudier, sur les variables prioritaires à documenter, voire de toute critique des sources. Une question qui revient presque à chaque recherche se trouve au confluent de tous ces problèmes : “j’ai trop de documentations sur certaines personnes, et presque seulement des données manquantes sur les autres, comment je fais ?”
Il est pourtant possible de pratiquer une prosopographie moins routinière, plus constructiviste. Qui tire avantage des trous dans les sources biographiques et des contradictions entre elles pour produire du savoir neuf. Qui utilise réellement la biographie collective pour détourner l’attention des acteurs les mieux connus, plutôt que de compiler à leur propos une fiche de plus. Cette autre manière de faire peut mobiliser des méthodes d’analyse spécifiques, par exemple l’analyse de séquences, mais c’est bien en amont que se passe l’essentiel de la recherche prosopographique, lors de la construction des données. L’important est la définition de la population, le choix des sources (celui notamment de privilégier le croisement de listes par rapport à la recherche de biographies), la manière de saisir les données, en respectant leurs manques, leur hétérogénéité et leur temporalité, et de les catégoriser. C’est donc sur ces étapes préliminaires qu’insistera Claire Lemercier, en s’appuyant à la fois sur une longue expérience d’ateliers de “quanti” et sur une recherche précise, portant sur les avocat·es aux Conseils, menée avec Ana Maria Falconi dans le cadre du projet ANR Avoconseils.
Claire Lemercier est directrice de recherche CNRS en histoire au Centre de sociologie des organisations. Elle a notamment appliqué une approche prosopographique aux membres des élites économiques parisiennes au 19e siècle, aux dirigeants de grandes entreprises françaises au 20e siècle, ou encore aux membres du Comité économique et social européen. Depuis une vingtaine d’années, elle oeuvre avec Claire Zalc et plusieurs autres collègues à faire de la quantification une pratique plus habituelle et mieux ancrée en histoire, à la fois en la rendant plus accessible aux historien·nes et en plaidant pour une construction des données qui donne toute sa place à la critique des sources. Comme cette critique s’applique lorsque ces sources sont des archives, mais aussi des annuaires biographiques, des données d’enquête pré-existantes ou encore des données du web, elle peut présenter un intérêt dans d’autres disciplines que l’histoire.
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La séance s’est tenue sur la plateforme Big Blue Button de l’EHESS que nous remercions pour son soutien.